Racines souterraines: visions pour résister à la monoculture et construire de la communauté

Nous pouvons voir partout au bord des autoroutes, d’énormes champs de maïs identiques qui s’étendent sur des kilomètres bordés d’un océan infini de supermarchés, de parkings et de lotissements.

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Nous pouvons voir sur nos comptoirs de cuisine et dans nos salles de classe, la même canette de soda sur une table du Caire ou du Kentucky, la même définition du «progrès » et de la « liberté » dans les manuels du monde entier.
La monoculture – le fait de répliquer une unique plante, un produit ou une idée sur des espaces gigantesques – est certainement la plus instable, la moins durable et la moins imaginative des formes d’organisation qui soit, mais à court terme cela permet de faire tourner le système en douceur et de conserver le pouvoir entre les mains d’un petit nombre de gens.


Dans la logique du monde moderne, que ce soit aux champs ou dans la classe du lycée, la diversité est inefficace et difficile à gérer.
Les gens de pouvoir ont compris depuis longtemps qu’il était plus facile de contrôler les choses si tout le monde mangeait la même nourriture, écoutait la même musique, lisait les mêmes livres, regardait les mêmes émissions de télé et parlait le même langage.
Voilà ce que nous appelons le monoculte et alors que nous serions sensé.es être de plus en plus relié.es par cette nouvelle « culture globale », nous sommes de plus en plus isolé-es les un-es des autres. Les choses semblent de plus en plus vides, tant d’entre nous finissent seul-es et déraciné-es se demandant pourquoi tout va si mal.P3roots
Dans la nature, les choses sont très différentes. Dans les anciennes forêts tout est relié, la mousse, le lichen, les fougères, les ronces jusqu’aux oiseaux et aux scarabées. Notre esprit humain sépare toutes les parties de la forêt en pièces détachées alors que la plupart du temps, il serait plus pratique de la voir comme un seul organisme géant avec des éléments fonctionnant tous ensemble. Les arbres entremêlent leurs racines et communiquent de manière souterraine. Nous pouvons le voir le long des ravins et des lits de rivières, là où une tranchée sur un flanc de colline révèle des enchevêtrement de racines totalement imprévisibles, qu’aucun-e scientifique n’aurait pu imaginer ou planifier malgré toutes les lois de la physique. Quelque chose dans ces entrelacs explique comment ces arbres peuvent se pencher selon des angles défiant la gravité, s’accrocher aux vents les plus violents et survivre, pliant sans se rompre, s’adaptant selon des courbes imprévisibles au gré des respirations, des éclats, des pluies et des brûlures du monde. Le béton ne peut pas faire tout cela. Il y a beaucoup à apprendre sur la façon dont la vie évolue et se renforce dans la nature.
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Quelque chose de l’architecture vivante du chaos et du temps, des forêts séculaires et des algues microscopiques, survit dans les lignes droites et les institutions carrées auxquelles on nous demande de croire.

Nous pensons que les gens n’appartiennent pas aux grilles ni aux boîtes des monocultures désolées et déconnectées. Les humains sont des créatures qui savent s’adapter et tandis que beaucoup de gens apprennent à s’adapter, certain-e d’entre nous ne peuvent appréhender le monde moderne, quelles que soient les médicaments ou les années d’école ou les programmes de modification du comportement par lesquels nous avons dû passer.

N’importe quel modèle réaliste de santé mentale devrait commencer par accepter qu’il n’ y a aucun modèle standard en ce qui concerne l’esprit et qu’aucun d’entre nous n’est qu’une simple unité conçue pour être convenable et efficace. Peu importe à quel point vous êtes aliéné-e par le monde autour de vous, peu importe à quel point vous vous sentez à coté de la plaque ou déprimé-e ou déconnecté-e : vous n’êtes pas tout-e seul-e. Votre vie dépend des vies d’un nombre incalculable d’autres êtres, depuis les microbes dans vos cils jusqu’à la personne qui a pavé votre rue. Le monde est tellement plus beau et complexe qu’il n’y paraît en surface.

Il y en a tellement d’entre nous, par ici , qui perçoivent le monde avec une peau fine et un cœur lourd, qui sont appelé.es fou.folles parce qu’ils.elles sont trop plein.es de feu et de douleur, qui savent que d’autres mondes existent et sont mal à l’aise dans cette version de la réalité. Nous avons surgi des trottoirs et fait s’épanouir toutes sortes de fleurs inadaptées, depuis aussi longtemps que les gens marchent sur cette terre.

Beaucoup d’entre nous accèdent à des couches secrètes de la conscience – vous pourriez nous voir comme des racines de pissenlits qui rassemblent les minéraux des strates cachées du sol que les autres plantes ne peuvent atteindre. Si nous avons de la chance, nous pourrons les partager avec tout le monde en surface. Parce-que nous ressentons les choses plus fortement que les autres, beaucoup d’entre nous ont des visions de comment les choses pourraient changer, pourquoi elles devraient changer, et c’est douloureux de les garder pour soi.

Parfois on nous appelle malades et parfois on nous dit sacrés, mais peu importe comment ils nous nomment, nous sommes une partie essentielle de ce qui fait de cette planète un tout.

Il est temps de relier nos racines souterraines et de raconter nos histoires enfouies, de nous renforcer et de répandre nos visions sur toutes les parcelles de terre blessée et abîmée d’une société qui a si désespérément besoin de changement.

Le langage est un point de départ. Les mots peuvent être de puissantes graines. Les instances médicales nous offrent toutes sortes de mots pour parler de nous et de nos troubles, des mots comme «dépression» et «psychose». Parfois ces mots nous aident à revenir sur nos vies avec une nouvelle manière de comprendre ce qui a bien pu se passer, mais trop souvent ces mots finissent par nous placer dans de tristes boîtes séparées où nous avons l’impression que quelque chose ne va pas chez nous et qu’on ne peut plus se relier à qui que ce soit.

Le langage est puissant. Il peut ouvrir le monde comme un lever de soleil et obstruer le ciel comme des murs de prison.

Le langage est magique. Avant les médias de masse, les nouvelles technologies et la lumière fluo – quand il faisait sombre la nuit et que les gens s’asseyaient autour d’un feu pour raconter des histoires ou seul-es pour écrire à la lumière d’une bougie. – on avait du respect pour les mots écrits ou parlés, les histoires, les mythes ayant traversé les générations, adaptés au fil du temps. Que nous en soyons conscient.es ou pas nous jetons des sorts avec nos paroles.
De nos jours nous sommes censé.es croire que la science a suffisamment démonté tout recours aux pouvoirs surnaturels, mais des sorts sont jetés autour de nous en permanence : des sorts dans les panneaux dont les messages se frayent un chemin jusqu’à notre esprit ; dans l’éclat hypnotique du téléviseur nous faisant oublier nos rêves en les remplaçant par de la pub, des convenances et de l’apocalypse ; dans les livres qui n’expliquent qu’un aspect de l’Histoire à l’école et dans les fenêtres pop-up envahissant nos écrans d’ordinateur.P4town
Nous avons des langages d’autres personnes dans nos têtes et sur nos langues. Des mots comme «trouble» et «maladie» nous offrent un panel de métaphores pour comprendre ce que ça fait d’expérimenter nos vies à travers nos esprits et nos âmes particulièrement volatiles, mais c’est un point de vue tellement limité.
Les métaphores sont très puissantes. Nous pensons avec le langage, filtrant constamment nos perceptions au travers des structures de mots et de métaphores disponibles dans notre cerveau – à bien des égards les métaphores disponibles créent notre réalité.

En regardant notre époque, il apparaît clairement que nous expérimentons un sérieux manque d’imagination. C’est comme si nous étions sous le sort du Monoculte – un sort abrutissant pour nous distraire du fait que tout pourrait être autrement mieux et plus beau.
Le sort contrôle comment nous articulons nos rêves et comprenons nos corps et nos esprits. Il contrôle comment on s’estime et comment on se relie aux autres. Tout cela nous laisse avec d’étranges mots à la bouche et sur le bout de la langue et avec d’horribles et entêtants jingles commerciaux et stéréotypes à propos de nos voisins, implantés dans nos esprits.

Peut-être que si nous pouvions changer les métaphores qui façonnent notre esprit, nous pourrions changer la réalité qui nous entoure.

Nous devons commencer à parler et à nous relier – trouver des bases communes et un langage commun avec les autres gens autour de nous. Nous avons besoin d’être ensemble en groupe et de trouver un langage pour nos histoires qui nous donne du sens et nous laisse avec une meilleure impression de nous-mêmes. Désapprendre le conditionnement social sur ce que signifie être «malade» ou «en bonne santé». Nous avons besoin de revendiquer nos rêves et de tracer des plans pour les réaliser. Nous avons besoin de partager tout ce que nous savons sur comment être humain. Nous avons besoin de nous aimer tel-le que nous sommes: tordu.es et intenses , puissant.es et effrayant.es, indiscipliné.es et enclin.es à patouiller dans la poussière. Nous devons admettre que les mauvaises herbes sont simplement des plantes qui refusent d’être domestiquées et mises en rayon. Nous devons tracer de nouvelles cartes des univers que nous partageons et trouver des façons de nous soigner les uns les unes. Nous devons rassembler tout ce que nous avons pour créer des tissus sociaux et des réseaux d’entraide durables pour nous-mêmes et celles et ceux qui voudront nous suivre.P4forest

Voyez ce manuel que vous tenez dans vos mains comme un livre de sortilèges. Il pourrait peut-être vous aider à faire apparaître le monde que vous souhaitez voir.
Nous avons décrit un tas d’idées d’un peu partout, tirées des couches souterraines de notre conscience et de notre culture. Nous espérons qu’elles vous donneront envie de commencer à parler, hurler, danser, créer et contribuer à changer le monde autour de vous. Nous espérons que vous le ferez un peu moins gris, solitaire et froid. Nous espérons que vous apprendrez aux gens toutes les plantes du jardin , pas seulement celles qui sont dans les livres. Nous espérons que vous trouverez les mots pour tous les morceaux de vous, même ceux qui sont déchiquetés, pleins de cicatrices, et nous espérons que vous pourrez les assembler avec la communauté¹ qui vous entoure et découvrir que vous n’êtes vraiment pas seul.e.
Il y en a tellement d’entre nous ici, nous attendons que vous nous rejoignez dans toute votre beauté tordue et votre folie.

P5bandeauicarus

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